Éducation sexuelle

Plus ouverts, mais  tout aussi perdus

La sexologue Jocelyne Robert souligne ces jours-ci les 30 ans de la parution de la série de livres Ma sexualité. Une génération plus tard, où en est l’éducation sexuelle au Québec ? Si tout était à faire au début des années 80… tout est parfois à reconstruire, aujourd’hui, constate la sexologue. Retour en arrière avec la spécialiste, pour mieux comprendre le chemin qu’il reste à parcourir.

Il y a 30 ans, qu’est-ce qui vous a convaincue que les jeunes avaient besoin de livres d’éducation sexuelle ?

Il faut voir le contexte dans lequel j’ai écrit ces livres, parce que c’est assez révélateur. J’ai terminé mon bac au début des années 80. À la fin de mes études, pour mon stage, j’ai décidé de faire des rencontres d’éducation sexuelle auprès de groupes du primaire. Les enfants avaient de 6 à 12 ans et, pour animer ces rencontres, il fallait que je bâtisse un programme. J’ai fait des recherches… et je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien sur le sujet ! Rien ! Il y avait bien quelques livres à l’étranger, mais ça ne nous ressemblait pas ! Alors je me suis assise dans les classes avec mon propre programme. Ça a tellement marché ! Les enfants étaient tellement curieux ! Mes livres, c’est de là qu’ils sont nés. Je voulais aborder tous les aspects de la sexualité. La plupart des étudiants en sexologie, à l’époque, voulaient traiter les éjaculateurs précoces, mais ça ne m’intéressait pas une miette. Ce qui m’intéressait, c’était de voir comment faire pour que, justement, les adultes n’aient pas de problèmes.

Et ça passait par l’éducation…

Oui. Pour y arriver, il faut faire de la prévention et de l’éducation. Moi, quand j’étais petite, le message que j’avais retenu sur la sexualité, c’est à peu près ceci : la sexualité, c’est sale, c’est péché, c’est l’enfer, c’est dégueulasse… et garde ça pour la personne que tu vas aimer vraiment.

C’était un sacré message ! C’était épouvantable ! Quand j’ai décidé d’aller étudier en sexologie, ce sont des choses comme ça qui me revenaient.

À la même époque, on a introduit dans les écoles du Québec des cours de formation personnelle et sociale, auxquels on a justement intégré des notions d’éducation sexuelle…

C’était un excellent programme d’éducation à la sexualité. Il touchait tous les aspects du développement de la sexualité de l’enfant. Autant les stéréotypes que le plaisir. Pas seulement comment on met un condom ! Malheureusement, on ne s’est pas souciés de le mener à terme, et de mettre les ressources nécessaires pour qu’il soit bien porté et bien enseigné partout. Puis, il y a eu un tournant où on est revenus aux matières de base au détriment du « savoir-être » qui était visé par le programme de formation personnelle et sociale. On a liquidé ça, comme si ça n’avait pas d’importance.

Tranquillement, la sexualité est devenue un gros objet de consommation, elle a été instrumentalisée. Il y a eu beaucoup de pression au cours des dernières années pour ramener l’éducation sexuelle dans les écoles. Oui, il y a un nouveau programme, mais on n’en sait encore pas beaucoup sur le contenu.

Et les parents, ne sont-ils pas plus à l’aise aujourd’hui de parler de sexualité ?

Ce n’est absolument pas le cas. C’est vrai qu’il y a 30 ou 40 ans, on partait de rien, mais on n’est pas passés de la grande noirceur à la grande lumière : on est passés de la grande noirceur à la grande confusion. C’est une fausse lumière, c’est du spectacle ! La sexualité, aujourd’hui, c’est de la performance, c’est du consumérisme, de l’utilitarisme. Devant cette réalité, les parents ne sont pas plus à l’aise. Au contraire ! Avant, très souvent, les parents me parlaient de leur jeune qui les avait surpris pendant leurs ébats amoureux. Ils voulaient savoir s’ils l’avaient traumatisé. Aujourd’hui, pendant les deux dernières semaines seulement, j’ai eu trois ou quatre questions par courriel de parents qui disent : « Mon enfant de 5 ans, 10 ans, 11 ans est tombé sur des films pornos du genre triple pénétration… » C’est classique, ça ! Le parent n’est pas plus habilité à en parler : c’est devenu très compliqué.

Quelles sont les conséquences de cette confusion ?

On partait de zéro, avant, mais là on part de quelque chose… mais tout croche ! Nous étions « vierges » au sujet de l’éducation à la sexualité, mais maintenant, il faut défaire ce qu’ils ont intériorisé. Je vois des jeunes hommes qui ont des blondes qu’ils aiment, mais ils ne sont pas capables d’éjaculer parce qu’ils consomment de la porno depuis qu’ils ont l’âge de 12 ans. Quand, à l’âge où on bâtit son profil érotique, on se moule avec des images semblables… c’est difficile quand on découvre que, dans le réel, ce n’est pas ça. Je ne veux pas dramatiser, au contraire ! Il est encore possible de défaire ces perceptions.

Donc, les temps ont changé, mais l’incompréhension demeure ?

Absolument ! Une incompréhension tout aussi profonde. Je dirais même une ignorance tout aussi profonde. Ce n’est pas parce qu’on voit des vulves en gros plans et des pénis bandés à longueur de jour qu’on est moins ignorant. Parfois, je raconte aux jeunes garçons comment ça fonctionne, la pornographie – que les vulves des filles sont maquillées, que les hommes consomment parfois des médicaments pour garder leur érection, et que ça peut être dangereux –, que c’est un spectacle, bref ! J’ai l’impression d’entendre un grand « ouf » dans la salle ! C’est ça, l’éducation sexuelle en ce moment : c’est défaire des choses, et après, on repart.

Car il faut savoir que l’éducation sexuelle, elle se fait quoi qu’on fasse ! Elle se fait où ? Elle se fait avec la gang, elle se fait par sexto, sur l’internet tout seul dans son coin ou avec les copains… Elle prône un modèle, et je pèse mes mots… un modèle assez violent. Les jeunes là-dedans sont complètement mêlés. Est-ce qu’on a eu, entre autres, le féminisme pour en arriver à ça ? Je ne peux pas croire.

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